Il n'existait pas en 1914 de doctrine stratégique sur l'emploi des blindés et encore moins des autos mitrailleuses. Et pourtant en Belgique un major jugé quelque peu excentrique, le major Collon, parvint à mettre sur pied un groupe de dix autos blindées, composé de six autos canons (Hotchkiss de 37mm) et de quatre autos mitrailleuses avec leur train de voitures auxiliaires et leur escorte cycliste et motocycliste.
Sa théorie était de disposer d'un corps blindé autonome qui pouvait opérer par percées profondes avec ses propres moyens de reconnaissance et de soutient.
Les véhicules furent construits à Paris, au pont de Saint Cloud, sur châssis Morse et avec des moteurs Minnerva de 40 chv. Ils pesaient quatre tonnes avec munitions et équipage.
En avril 1915 les véhicules étaient prêts à participer à l'offensive de printemps, mais cette offensive n'eut pas lieu, la guerre de position continuait et le groupe resta inemployé. Jusqu'à la visite d'officiers Russes qui s'intéressèrent à cette formation et sollicitèrent son envoi en Russie pour aider les troupes tsaristes qui étaient aux prises avec les Autrichiens. Leur demande fut acceptée.
Le 21 septembre 1915 les véhicules et leurs servants, soit 300 hommes s'embarquèrent à Brest à bord d'un cargo Anglais, le Wray Castle, à destination de Arkangel au NE de Saint Petersbourg, sur les bords de la mer Blanche. Au terme d'une navigation difficile ils y arrivèrent le 11 octobre.
Après avoir été présenté au Tsar et passé en revue à Saint Petersbourg le groupe reçut un ordre de marche dans les premiers jours de 1916 pour rejoindre la XI armée. Les armées tsaristes avaient dans un premier temps pénétré assez profondément en Autriche, puis reculé et ne conservaient qu'une bande d'une cinquantaine de Km depuis le pied des Carpates jusqu'à Brody. La ville de Tarnopol était au main des russes et c'est à proximité de celle ci, à Zbaraz, que le groupe prit ses quartiers.
Il participa glorieusement à plusieurs attaques à partir du printemps. En effet le général russe Broussilov lança dès que les conditions climatiques le permirent une offensive très dure qui de Czernowitz à Loutkk bouscula les positions Austro-Allemandes.
A Zborov, parmi d'autres faits d'armes, le groupe contribua à stopper une dangereuse contre attaque de l'infanterie Autrichienne.
Le 17 mars 1917 le groupe reçut la nouvelle de l'abdication du tsar. Des « soviet » de soldat se constituèrent dans les régiments. L'autorité leur était déférée en dualité avec les officiers. Les Autrichiens et les Allemands se gardaient d'attaquer cette armée où la démoralisation et l'indiscipline faisaient œuvre de destruction. Sur toute la longueur du front les armées russes s'effilochaient. Par place les combattants décidaient d'arrêter ou de continuer...
Le général Kerenski remotiva les troupes. Il pense que la nouvelle république rouge doit pour obtenir une paix satisfaisante finir la guerre par une victoire commune avec les alliés. Il parvient à déclencher une offensive en début juillet 1917, mais après des sucés limités l'armée russe se désagrège et entame une retraite dès le 25 juillet.
Le groupe belge se dirigea vers Kosova, mais la route était coupée par l'infanterie Allemande ; il se dirigeât alors vers Mikulinste. Il reçut le 7 novembre l'ordre de regagner la France et de respecter une stricte neutralité, car des pourparlers de paix séparée entre Russes et Allemands allaient s'ouvrir à Brest-Litovsk.
Le retour s'avérait difficile, car la route vers le port de Mourmansk était susceptible d'être coupée. Le groupe se dirigeât vers Kiev où il échoua en pleine guerre civile...Il resta consigné dans un monastère, puis la ville passa aux mains des soviets en janvier 1918.
Le commandant en chef des troupes rouges avait fait ses études en Belgique, il accorda donc assez facilement l'autorisation au groupe de quitter la ville à bord d'un train, mais il lui refusa de partir avec ses armes et ses véhicules. Le groupe préféra alors détruire les véhicules et cacher son armement...
Le 20 février 1918 le train s'ébranle au départ de Kiev à destination de Moscou. Il mit 7 jours pour parcourir 1350Km ! Une semaine se passa dans une gare déserte. Des avis divergents se manifestèrent entre ceux qui voulaient rentrer dans leurs foyers par l'ouest et ceux qui par prudence préféraient passer par la Sibérie. Mais la nouvelle arrive : la ligne vers Mourmansk est coupée, il faut passer par la Sibérie, puis la Mandchourie.
A Omsk le soviet local refuse que le train aille plus loin si les Belges ne livrent pas leurs armes. Après de longues palabres chaque soldat signe un engagement de ne pas utiliser ses armes contre l'armée rouge. Mais ce qui est valable à Omsk est remis en cause à l'étape suivante.
Le 15 mars 1918 le groupe travers l'Inissei à Krasnoiarsk (ci-contre photo de la gare). Ils subissent chaque fois une perquisition mais les deux lourdes mitrailleuses cachées sous des effets d'habillement ne sont pas découvertes...
Le 25 mars le train est à Daouaria et deux officiers partent avec la locomotive vers la Mandchourie dans l'espoir qu'un train chinois vienne les chercher. Effectivement deux jours plus tard, un train arrive dans lequel ils s'installent et franchissent ainsi les lignes qui séparent la Russie Blanche de la Russie Rouge. Ils stationnent quelques temps à Kharbine puis sont transportés à Vladivostok où un navire américain les attend. Ils y arrivent le 23 avril 1918 après 62 jours et dix mille Km de voie ferrée.
Le 12 mai leur navire « le Sheridan » mouille dans la baie de san Francisco. Le groupe Belge défile dans Market Street à San Francisco sous les acclamations d'une foule enthousiaste. Toutefois ils n'ont plus de fanfare, qu'importe les soldats américains ont mis à leur disposition un « band » de quarante musiciens habillés d'un uniforme belge !! Ils seront fêtés et choyés par leurs hôtes américains durant un mois.
Le 15 juin 1918 le groupe s'embarque à destination de Bordeaux. Ce qui reste de ce corps sera dissous dès son arrivée en France. Les hommes seront réaffectés à de nouvelles unités où ils connaitront la victoire du 11 novembre 1918.
Aujourd'hui des tenants de la tradition continuent à maintenir le souvenir de ce groupe glorieux et envisagent la reconstruction d'une auto-canon à l'identique du modèle original. http://www.auto-canon-2014.com
C'est grâce à eux que j'ai pu identifier le véhicule photographié au musée de Samara comme étant l'auto blindée FIAT 60 hp construite en quantité par les Russes.
Le modèle exposé possède des roues d'après 14-18. Ce type d'AB a en effet été utilisé par les Belges des ACM, grâce à un don du Tsar.
Source: Marcel Thiry; Le tour du monde en guerre des autos-canons Belges. Ed Mirroir.
planches dessinées : le journal de Spirou N°1149 du 21 avril 1960, éditions Dupuis
(une carte permettant de localiser les villes citées complètera ultérieurement ce billet)